The Town de Ben Affleck, 2010
Ben affecte
Il ne m'a pas fallu
longtemps avant de comprendre que The Town serait un film
académique, sans idées et totalement anodin, puisqu'il s'ouvre sur
une scène de braquage de banque en ne faisant l'impasse sur aucun
« passage obligé » que ce type de séquence charrie :
braqueurs excités avec le chien fou de la bande, masques en
plastique, otages maltraités, caméra à l'épaule qui s'agite,
hésitation autour du bouton d'alarme, tension à l'ouverture de la
porte du coffre, fuite à toute berzingue en auto etc. Jamais la mise
en scène ne questionnera tout cela, ni ne tentera de le détourner
ou même de le remettre en cause, au contraire, elle veillera à ce
que tout se déroule comme prévu. Prévu par quoi ? Cette
mystérieuse méthodologie qui régit le cinéma appliqué, qui
veille à ce qu'il ne sorte pas des rails, à ce qu'on s'y retrouve.
Car The Town, tout banal et non surprenant qu'il est, a plu.
C'est exactement le genre de film que je louais avec succès quand je
bossais au Vidéo Futur rue de Longchamp dans le 16ème (devenu depuis une épicerie
fine casher), que je pouvais recommander les yeux fermés. Je
savais que la clientèle (petite-bourgeoise) serait systématiquement
satisfaite parce que ça répond à leur demande d'être rassurée.
Ce genre de film est fait pour déballer un programme que le
spectateur connaît déjà, qui ne le déroutera pas, qui le
tranquillise. C'est un film confortable. Bref, c'est affreux. Rien de
plus accablant qu'un film qui fait en sorte de ne jamais sortir des
sentiers battus. Surtout quand il se donne un air sérieux, concerné,
affecté : l'histoire éternelle du gangster qui veut échapper à
son sort, qui cherche la rédemption mais qui est rattrapé par son
passé, par un système injuste, par ses erreurs, tout ça...
Ce genre de récit ne
sert qu'à donner un ton. Celui du polar désabusé. Quand un acteur
comme Affleck passe à la réalisation, il est souvent salué non pas
pour sa singularité de cinéaste mais pour sa capacité à rentrer
dans le rang, à rester sage, à ne pas faire déborder le film hors
de son sujet initial mais bien au contraire pour savoir faire preuve
de savoir faire, propre de l'académisme. On a vu ça avec Mel Gibson
ou George Clooney. Auteur, il l'est de facto puisqu'il est une
personnalité déjà connue, un visage identifiable qui lui sert
d'identité visuelle. Il y a une dimension encore plus déplaisante
dans ce genre de projet quand l'auteur/acteur s'octroie le rôle
principal, qui révèle sa vraie motivation (tant l'histoire n'a
aucun intérêt), ici celui d'un braqueur repenti, coincé par ses
origines du ghetto de Boston, et qui tombe amoureux d'une de ses
otages. Le bon rôle en somme (littéralement), celui qui lui
permettra de tout jouer, de l'amoureux transi et vengeur à la
victime de la pression sociale et de son complexe d'Œdipe
(confrontation paternelle à l'appui). Le rôle qui autorise
l'étalage des palettes émotionnelles et physiques (on le voit même
faire des pompes!). Et pour appuyer cette performance, il fallait que
le rôle du flic qui le harcèle, celui qui s'oppose à lui, qui s'y
confronte, soit particulièrement insignifiant, sans personnalité,
écrit sommairement, sans éclat. C'est Jon Hamm (Don Draper dans Mad
Men) qui interprète ce flic qui n'a aucune scène qui pourrait
lui permettre de tirer son épingle du jeu, d'exister un peu. Le
scénario lui fait constamment barrage.
Ben infecte
Le choix de Jon Hamm n'est pas innocent puisqu'il s'agit d'un acteur génial et que Affleck a toujours été critiqué pour son jeu limité. J'ai alors eu le sentiment désagréable qu'il a surtout fait ce film dans le but infect de racheter sa réputation au détriment d'un acteur infiniment plus doué que lui. En vain. S'épauler du scénario n'est jamais suffisant. Affleck demeure un acteur nul, sans nuance, qui applique toutes les méthodes d'acting servilement tandis que Hamm, en dépit d'un rôle sans intérêt et de répliques fonctionnelles arrive à donner du trouble et une pointe de perversion à un personnage dont ce n'était pas la vocation. Ça a au moins le mérite de confirmer son talent au-delà de Mad Men (là où je doute que tous les comédiens de la série soient aussi bons ailleurs). Mais ça n'en reste pas moins un vrai gâchis de le voir se dépatouiller dans un film incroyablement ennuyeux et prévisible dont on sait, malgré son succès, qu'il sera impitoyablement oublié d'ici peu de temps (ça commence déjà d'ailleurs).
Il paraît que Affleck
est choyé par la Warner, qu'il ne passe pas un projet chez eux sans
qu'on ne le lui propose. Cette confiance abusive signifie aussi à
quel point il est un réalisateur inoffensif, qui va dans leur sens,
un faiseur qui a ce qu'il faut de narcissisme pour qu'on le remarque.
Un auteur oscarisable, de prestige, dont il n'y a strictement rien à
attendre. Alors qu'il y a tout à espérer de Jon Hamm. Mais qui
saurait lui confier un rôle digne de lui au cinéma, à une époque
où les auteurs se substituent de plus en plus à leur film ? Il n'y
a guerre que les tâcherons qui laissent de la place aux comédiens
pour s'exprimer mais il faudrait plutôt leur inventer un espace. Qui
sait faire ça aujourd'hui dans le cinéma américain ? (Peut-être
Nolan ? mais laborieusement). On est contraint de se tourner vers la
télé (où l'auteur ne s'est pas encore imposé en écrasant tout
sur son passage), vers Mad Men par
exemple, miracle audiovisuel qui ne me semble plus
possible aujourd'hui au cinéma. Surtout si on s'extasie devant des
trucs aussi lamentables que The Town...
Matthieu Santelli