mercredi 31 juillet 2013

Le complexe du super-héros


 Iron Man 3 de Shane Black, 2013



La Mythologie comme scénario

Iron Man 3 me confirme à quel point l'avènement de Marvel à Hollywood est ce qui pouvait arriver de mieux à cette industrie de plus en plus moribonde. Il faut se faire une raison : il n'y a plus de place pour les auteurs là-bas, ils s'y sont tous fait dézinguer les uns après les autres. On va me dire qu'il y a encore des singularités dans ce cinéma, des signatures, des styles. C'est vrai, mais ce ne sont que les signes de l'auteurisme, une mise à profit du maniérisme formel pour mieux pallier à l'absence de discours, des moulinets dans le vent... Alors, quand un cinéma n'a plus rien à dire et plus personne pour parler, il ne lui reste qu'une voie de salut : la mythologie, dont la particularité est d'être autonome, d'être sa propre source d'inspiration, de contenir sa propre morale. Marvel est l'un de ces pourvoyeurs de Mythologie (comme le fut Disney, qui a racheté Marvel et Lucasfilm, autre machine à créer du Mythe, comme par hasard). Son univers a été entretenu dans un souci d’homogénéité et de cohérence, les personnages y cohabitent sans anomalie, suivant inlassablement la ligne de conduite qu'on leur a défini. En ce sens, Marvel est très proche de Disney : on ne verra jamais Mickey flinguer des zombies au bazooka comme on ne verra jamais Spider-man gagner de l'argent en bourse. C'est la grande différence avec DC Comics dont les personnages (Superman, Batman, Flash etc.) ont été créés indépendamment les uns des autres puis réunis sous la même bannière après diverses acquisitions commerciales et tarabiscotages scénaristiques, où chacun y est allé de son petit grain de sel. D'où un univers plus boiteux mais propice à la réinterprétation. On peut refaire Batman à toutes les sauces : pulp, kitsch, gay, gothique, cartoon etc. Spider-man, lui, reste le même quoiqu'il arrive. Comparez les reboots de Batman et Spider-man. Dans le premier cas, entre le film de Burton (Batman, 1989) et celui de Nolan (Batman Begins, 2005), vous avez deux visions distinctes d'un même mythe, aussi différentes que le jour et la nuit. Dans le second, le film de Marc Webb (The Amazing Spider-man, 2012) ressemble à un remake chichiteux et mou du film de Sam Raimi (Spider-man, 2001), tous deux très proches du comic book, ne s'éloignant pas des fondements du mythe. Bref.

Tout ça pour dire que la force de la saga Iron Man provient de ce qu'elle puise et exacerbe dans le riche matériau de base. Si bien que même Jon Favreau, acteur sympathique mais réalisateur limité et sans intérêt, est soudain capable de réaliser parmi les meilleurs blockbusters du moment. Ôtez lui cette mythologie et il retombe totalement à plat (Cow-boy vs Envahisseurs). Et le contrôle du studio Marvel sur ses franchises n'y est pas étranger. Sa gestion consiste à veiller à ce que leurs héros soient développés selon leurs caractéristiques propres et éviter les traitements paresseux du type Green Lantern (Martin Campbell, 2011) ou les Fantastic Four (Tim Story, 2005 et 2007), qui commettent l'erreur de considérer le super-héros avant tout comme un super-pouvoir, de ne les résumer qu'à ça. En l'occurrence, l'histoire de Iron Man n'est pas simplement celle d'un homme en armure hi-tech qui dézingue des terroristes, mais celle d'un enfant pourri-gâté et génie industriel surdoué dont le pire ennemi n'est autre que lui-même. Le cynisme de Tony Stark cache son angoisse profonde d'affronter une réalité qu'il fuit par tous les moyens : le luxe, la frime, l'alcool, les filles et - surtout - son armure. En ce sens, Stark, mélange entre Howard Hugues et Thomas Edison, renvoie l'Amérique industrielle à son protectionnisme et au comportement autodestructeur qu'induit le repli sur soi. Dans The Avengers, poussé par ses compères superhéroïques, Stark fait l'expérience de l'héroïsme, c'est-à-dire du dépassement et du sacrifice (en pénétrant un vortex). L'idée géniale de Iron Man 3 c'est de prendre en compte ce début d'évolution et d'en faire un essai pas totalement transformé. Le vortex, soit un trou (donc un manque), a mis à nu l'angoisse de Stark, qui se manifeste ici sous forme de crises de panique. Il ne dort plus et se réfugie maladivement dans sa passion : son armure, dont il a créée pas moins de 45 modèles ! C'est dans cette posture obsessionnelle et une certaine fragilité que les conséquences de son cynisme lui reviennent en pleine poire  : un scientifique qu'il a humilié une décennie auparavant, associé à un super-terroriste, a mis au point une formule qui créé des surhommes capables d'affronter à mains nues l'armure d'Iron Man.


Je suis Tony Stark

Dans chaque épisode, Stark a dû affronter un double de lui-même, qu'il soit négatif (Ivan Vanko) désublimé (Justin Hammer) ou idéalisé (Obadiah Stane). On voit là ce qui fait à la fois l'intérêt mais aussi la limite de la saga : tout tourne autour de Tony Stark, tout nous renvoie à lui - là où les Batman de Nolan (réalisateur peu doué pour le symbolique) avaient l'immense mérite de (tenter de) faire exister tous les personnages (même si télévisuellement plutôt qu'esthétiquement, c'est-à-dire par le biais du scénario et en allongeant la durée du film), et d'inscrire Bruce Wayne dans un monde sur lequel il influe mais dont il n'est pas le centre de gravité. Mais l'altérité dans l'univers de Stark est introduite, de fait, dans The Avengers, et se prolonge dans ce troisième film puisque, séparé de son armure - seul rempart contre le monde - il doit, comble de sa phobie, composer avec les autres, se frotter à un peu d'aliénation et se confronter à leur désir : celui de voir en lui un héros (le jeune Harley), un patriote (Rhodes) ou un mari (Pepper). Défi complexe qui l'oblige à contenir ses pulsions : lors d'une scène au début du film, tandis qu'il rêve du vortex dans un sommeil agité, sa femme tente de l'apaiser quand elle se fait agresser par l'armure. Censée protéger Stark contre ce qui pourrait lui nuire, l'armure s'indexe sur son inconscient, s'en prenant à ce qui lui fait peur tout en le révélant, ici Pepper. C'est là que se situe l'enjeu du film : accepter l'autre, comprendre qu'il faut aussi composer avec lui, faire de la faiblesse que provoque nos sentiments, une force. Enjeu un peu bébête mais qui peut donner naissance, en plein fatras spectaculaire, à des passages assez beaux. En plein assaut terroriste dans sa demeure, il fait revêtir à Pepper son armure pour la protéger avant que, ainsi parée, elle ne le protège à son tour, extériorisant son image du moi (l'armure), l'obligeant à lui faire face. « Je suis Iron Man » claironne-t-il depuis le premier film, mais Iron Man, prend-il conscience, n'est pas nécessairement « moi ». C'est ce qu'il doit admettre dans ce film-ci. Son armure y est brinquebalante, déchargée, instable, vole en morceau. Il y est de moins en moins à l'aise (voir la scène où il tente de descendre des escaliers sans se vautrer). Sa vision idéalisée de lui-même s'effrite. Dans un final extraordinaire, Stark passe d'armure en armure qui se détruisent toutes les unes après les autres, jusqu'à leur explosion totale sous forme de feu d'artifice (bouquet final qu'il offre à Pepper). Définitivement débarrassé de l'armure, il est sans ressource et n'est donc plus le vecteur de la fiction. Il est alors prêt, l'histoire ne dépendant plus de lui, à accueillir le Deus Ex Machina qui l'affranchit d'Iron Man : Pepper le sauve in-extremis une fois de plus mais sans armure cette fois-ci. En observant lors d'un plan touchant le casque fissuré d'Iron-man, Stark constate ce qu'il a toujours tenté de dissimuler, à lui et au monde : sa vulnérabilité. Ses failles le définissent et à travers elles, il se trouve enfin. Un super-héros n'existe cinématographiquement que dans ses paradoxes.

Je ne voudrait pas minimiser l'apport de Shane Black, dont il a été peu question jusqu'ici, sur la réussite du film. L'humour à contre-courant, les punchlines percutantes, le récit très orienté pulp, et la thématique du subterfuge qui conduit toute l'intrigue (le traitement aussi génial que profane du Mandarin) : tout cela, il est évident qu'on le lui doit. Mais j'aurai du mal, malgré tout, à y voir un quelconque travail d'auteur, voire même d'artisan. C'est, comme Wehdon, Nolan et les autres, un entertainer doué, un chimiste méticuleux qui sait manier les ingrédients de l'histoire. Le filmage reste sommaire, les relations entre les personnages patinent parfois, certaines articulations du récit sont maladroites et le jeu de Downey Jr. est de plus en plus schématique. C'est le prix à payer de ses fictions « autonomes », de ce cinéma sans cinéaste : ce qu'il gagne en efficacité narrative et en richesse psychologique, il le perd en personnalité. Hollywood, avec ce nouveau genre qu'est le film de Super-héros et qui l'a fait définitivement basculer du côté de la Mythologie, fonctionne de la même façon que la télévision et ses séries, où un projet correctement mis sur les rails décolle de lui-même, emportant tout le monde dans son emballement : comédiens, réalisateurs, scénaristes... Il faut s'en contenter. À une époque où le cinéma hollywoodien, tout style confondu, est de plus en plus inconsistant, le film de Super-héros a un mérite immense : celui de replacer l'humain au centre de ses récits pyrotechniques*. Parce qu'il ne peut, dans le fond, raconter qu'une seule histoire : celle d'un homme face à ses névroses.

Matthieu Santelli



À l'opposé, par exemple, de Pacific Rim, film considéré « d'auteur » par certains, où l'humain y est plus encombrant qu'autre chose